concours et prix


Le 1er octobre 2023  Prix du Périgord Vert pour 

Les mains d'Anna aux éditions Mon Limousin







Le 27 mars 2022 Prix Panazô des lycéens de Saint- Junien (87 )

Dans les méandres de la Creuse ( ed Encre Rouge)








Le 28 juillet 2019, presque un an jour pour jour après la précédente récompense, je double : premier prix avec MA NUIT CHEZ RAOUL et quatrième avec DIX- TRENTE ET UN.


Des textes à découvrir dans l'ouvrage collectif Ailes aux éditions Marine Elvin

Le 29 juillet 2018: Premier prix au concours de nouvelles des Créations morterolaises pour LA VENGEANCE DE CÉSAR





( texte intégral dans la rubrique Dernière minute du site)

Le 27 mai 2018 : Prix de la plus jolie couverture de roman pour L 'ENCRE SYMAPATHIQUE 

au premier salon littéraire de Saint- Martial sur Isop ( 87)







Le 27 mai 2018  : ENCORE UN PRIX POUR APRES  MARIENBURG! 






Le 01/10/2017:    Roman primé au salon de Chasseneuil sur Bonnieure ( 16)









En 2013: MON POÈME FÉTICHE:  ESPOIR    



Espoir
Ce poème a obtenu le premier prix au concours 2013 PLUME DE POÈTE



Je caresse l’espoir d’un ventre rond de femme
Où le germe de vie croît dans un océan
De chaleur et d’amour, attendant le sésame,
Pour offrir à aimer le plus doux des présents.

Je devine l’espoir dans un bouton de rose.
Préservée des pillards par un cordon d’épines.
Elle  attend le matin de son apothéose
Pour ouvrir son corsage,  sur une taille fine.

J’imagine l’espoir dans l’enfant de la guerre
Qui fuit devant les tirs, qui dribble entre les bombes
Alors que la terreur l’emprisonne en ses serres,
Avant que la rafale ne lui creuse une tombe.

Je dessine l’espoir sur le cœur du vieillard
De mes mains parcourant son visage fané.
Son aimée qui l’attend enjambe le  brouillard,
 Pour venir le chercher, par delà les années.

Je relie à l’espoir le songe du poète,
La voix de la diva, les doigts du musicien,
Les pinceaux, les ciseaux, les lumières de la fête
Et des milliers d’étoiles au ciel du pèlerin.

Je conjugue l’espoir au temps des retrouvailles.
L’absence ne s’étire que pour mieux réunir
Les amis, les amours, les amitiés sans faille
 Et poser sur les murs  des milliers de sourires.

Je transporte l’espoir dans ma lourde besace
Emplie de souvenirs, de projets et de rêves.
Je cultive l’espoir pour qu’aucune menace
Ne fauche les moissons que je nourris sans trêve.

                        Liliane Fauriac

                        © Tous droits réservés            

 


 Un  premier prix au salon de Saint Eulalie d'Olt avec PÉLERINS


Pèlerins

De l’Auvergne profonde aux fières Pyrénées,
A travers les prairies d’un Aubrac enchanté,
Par les lisières, les méandres, les champs, les prés,
Par les routes et les villes, nous avons cheminé.

Ne craignant pas la pluie, redoutant le retour,
En route vers l’étoile, avancer, contempler,
Parcourant le pays en rêvant tout le jour
De retenir le temps, de cheminer, toujours.

Depuis  Conques la belle, en passant par Cahors
Tant de coquets villages, de rencontres précieuses
Nous conduisirent heureux à Saint Jean Pied de Port
 Pour franchir la frontière des montagnes brumeuses.

En Navarre, en Castille, ce fut  alors  l’Espagne,
Éblouissante et  rouge qui offrit ses trésors.
Souvent quand la torpeur endormait la campagne,
Nous restions en l’église fascinés par ses ors.

Quand au bout du chemin nous entrâmes en Galice,
Parmi une colonne en marche vers  Compostelle
Imaginant la fin de nos instants  complices
Ce fut l’embrasement des émotions fidèles.

 Jusqu’à Santiago,  compagnons pèlerins,
Nos cailloux sur les croix, nous avons déposé,
Nos fatigues, nos joies, nos émois incertains
Près de la cathédrale, offerts, abandonnés.

Reprendrons-nous un jour le sac et le bâton
Vagabonds de la lune, indomptables rêveurs ?
En quête  de lumière, en scrutant l’horizon,
Saurons-nous proclamer l’hommage à la lenteur ?










En 2014: au concours de poésie de Saint-Junien ( 87









Nocturne n° 2 ( sur la musique de Chopin)


Les doigts courent sur le clavier
Si délicatement
Que j’en devine à peine le frôlement
Comme une caresse sur ma peau.
Chaque note dessine une arabesque,
Peint une infinité de paysages.
Chante la mélodie d’un amour infini.
La tendresse d’une nuit dans tes bras
Résonne au clair de pleine lune
M’apportant le parfum du jasmin
Du mimosa et de la rose.
Inlassablement, Chopin berce mon rêve,
Sème des perles comme des étoiles
Au ciel de l’attente sensuelle
Qui s’impatiente en crescendo
Et se meurt en sanglots étouffés.
À la fin de la ligne harmonique
Là-bas, si loin, je te rejoins
Et me fonds en musique douce
Dans la tiédeur de ton corps
Qui m’embrase et m’apaise.
Jusqu’au bout de la nuit,
Que les notes pianotent
Les mots doux que je ne saurais dire.
Qu’ils coulent comme l’eau,
Sans s’épuiser, sans te lasser.
Qu’ils trouent les ténèbres et l’ennui
Et fleurissent tes songes
De tendresse indicible,
Comme si la mélancolie
S’effaçait sous les mains du musicien
Pour laisser place au bonheur
D’un matin au creux de ton épaule.










EN  2015








Fallait pas

Fallait pas mon amour
entrer dans mes musiques,
jouer, de tes doigts habiles,
tes partitions sur ma peau
qu’ils enflammaient.
Fallait pas mon amour
faire danser mes hanches
sous la douce pression de tes mains
qu’elles rêvaient de convier.
Fallait pas mon amour
composer des mots si tendres
qu’avide, je les croquais
avant de t’écrire leur écho.
Fallait pas mon amour
me hisser au sommet
de la vague sensuelle,
m’élever aussi haut
que je flirtais avec les astres.
Fallait pas mon amour
ralentir tous mes pas
pour t’attendre en chemin,
marcher à tes côtés
en te donnant la main.
Fallait pas mon amour
que je sois ta béquille,
un substitut, une potion.
Fallait pas mon amour
mêler ton souffle au mien
pour me le dérober avec la violence
de l’ouragan qui me terrasse.
Fallait pas mon amour
sacrifier notre œuvre d’art
sur l’autel d’un autre amour.



4 ième prix au concours de nouvelles de l'Echo en juin 2017
Thème : un Cri
Le  concert perché

            « ELLE ne viendra pas maintenant. Les oiseaux ont fui mes ramages depuis des heures tandis que le vent me malmène. Mes branches giflent l’air de tangages désordonnés au gré des bourrasques. Je m’ancre de toute ma sève dans le sol qui me retient. Ce n’est pas le moment de craquer ! Tout est installé comme elle le voulait. Demain, c’est le grand jour. Jamais on ne m’avait rendu un tel hommage. Il faut que je résiste, au moins jusqu’à la fin du concert. »
Anne, violoniste professionnelle, passait le mois d’août dans la maison familiale, en compagnie de son ami Fabien rencontré lors d’une répétition des Quatre saisons de Vivaldi. Leur tendre complicité les stimulait pour élaborer ensemble un projet artistique original.
Il y a trois semaines, le samedi matin, Anne était venue plaquer son corps contre l’écorce rugueuse, fleurie de lichens gris perle. En lui murmurant ses pensées intimes, elle enserrait le tronc entre ses bras pour capter l’énergie de son chêne par ses mains, par son ventre, par son souffle. En quelques minutes de concentration, elle percevait les vibrations dont elle s’emplissait. Par un effet de vases communicants, elle éprouvait la sensation de se charger en ondes bénéfiques puis d’évacuer ses émotions négatives. C’était un rituel, une relation osmotique et secrète. Les rares témoins, habitués à surprendre leurs effusions ne prêtaient plus attention à leur étreinte complice.
 Pour prolonger l’harmonie de ce moment de grâce, elle avait appuyé son dos contre lui et s’était délectée des jeux de lumière et du bruissement du vent dans les feuilles. Puis, elle avait fermé les yeux et, peu à peu, avait laissé son esprit divaguer vers un concept un peu fou, mais diablement séduisant, en harmonie avec la nature, en rupture avec l’univers conventionnel des concerts. Pas de salle, pas de scène, mais les branches de ce chêne ! L’idée saugrenue d’un « concert perché », de musiciens assis ou suspendus dans cet arbre remarquable par son port majestueux s’était formée et affinée, comme un moyen d’exprimer son art dans un site insolite. Des images mentales s’étaient dessinées, mises en mouvement, des gestes s’étaient ébauchés, des dialogues musicaux ouverts à l’investigation.
Anne avait imaginé Fabien au violoncelle, son amie Ève à l’alto et elle-même au violon, conversant par l’intermédiaire de leurs instruments, au niveau des fourches des branches, entre ciel et terre. Le public prendrait place sous l’ombrage, en symbiose avec la musique et la nature. Joueraient-ils des morceaux connus, des pièces plus confidentielles ? Ou alors improviseraient-ils sur un thème d’inspiration bucolique, portés par le souffle du vent dans le feuillage et l’énergie puissante du chêne centenaire ?
Fabien l’avait surprise, adossée contre son arbre, les yeux clos, un sourire énigmatique sur les lèvres. Sans bruit, il s’était approché d’elle, et en effleurant tendrement sa joue :
– Tu dors mon amour ?
– Non, mais je rêve…
– Et peut-on savoir l’objet de ce songe ?
– Fabien, crois-tu qu’on pourrait organiser un « concert perché » ?
– Perché ? Tu peux préciser ? l’avait-il interrogée, mi-intrigué, mi-sceptique.
– Oui : on s’installerait pour jouer dans les branches, là, tu vois, au niveau des fourches.
– Anne ! Quel vent de folie t’a apporté cette idée saugrenue ?
– C’est ridicule, hein ? Dis-moi que c’est irréalisable si tu le penses.  Mais, réfléchis quand même à la magie d’un concert aérien ! Tu te rends compte d’une innovation ?
– Connaissant ta ténacité, je suppose que tu n’es pas prête à lâcher le morceau !
– Il faudrait juste trouver le moyen d’atteindre les points où l’on pourrait s’installer confortablement.
– Et s’y sentir en sécurité pour pouvoir jouer !
– Alors ? Tu crois que mon idée est complètement stupide ?
– Je n’ai jamais prétendu ça ! Tu sais quoi ?
– Non ! Dis-moi !
– J’ai un copain qui travaille à l’« acrobranche » : on devrait lui en parler !
            Voilà comment, dès le lendemain, deux élagueurs-voltigeurs et un moniteur d'escalade s’étaient retrouvés au pied du chêne. Anne et Fabien, rejoints par Ève enthousiasmée par le principe du concert au cœur de la nature avaient expliqué leur projet. Il avait été facile aux professionnels de cerner les intentions et d’envisager les équipements pour atteindre les fourches idéalement larges et robustes. Il avait suffi de couper quelques branches pour en permettre l’accès. Des échelles de corde aux barreaux en bois avaient pu aisément être mises en place. Pour installer les musiciens, ils avaient imaginé des sortes de paniers suspendus dans lesquels ils s’assoiraient et qui oscilleraient doucement au gré de leurs mouvements. Ces aménagements seraient rapides, respectueux de son arbre, amovibles et réutilisables dans un lieu similaire.
Anne avait exulté en visualisant les trois partenaires auxquels, pourquoi pas, se joindraient d’autres artistes séduits par le projet de « concert perché ». L’esthétique ne serait pas en reste : marionnettes ou funambules, ils allaient créer une improbable union entre Euterpe la muse de la musique et Sa Majesté le chêne, arbre sacré des druides ! Aucun obstacle ne s’était dressé devant la détermination et l’enthousiasme de la jeune femme. Elle avait fixé une date pour la première et s’était chargée de monter le dossier à déposer à la Préfecture, quitte à devoir le défendre et fournir toutes les garanties de sécurité – pour les musiciens, leurs instruments, les auditeurs – heureusement assurées par les élagueurs et le moniteur d’escalade.
Effectivement, l’autorisation avait été obtenue dans des délais suffisamment brefs. Ève avait assumé la communication de l’événement par tous les moyens : réseaux sociaux, affiches, flyers, annonces par les radios locales… Le 20 août serait le dimanche qui verrait le premier chêne transformé en scène de concert « en altitude » ! Le vent qui ferait frissonner ses feuilles aurait un parfum de poésie. Les vibrations des cordes frottées des violons et violoncelles s’allieraient à celles des cordes de chanvre se balançant entre les branches. Qui sait si même les cordes vocales du public ne viendraient pas accompagner la mélodie interprétée par l’orchestre de l’insolite ?
Ce samedi en fin d’après-midi, l’atmosphère s’était assombrie, brusquement, au terme d’une journée étouffante. Dès la tombée de la nuit, le ciel s’était zébré d’éclairs annonçant les roulements du tonnerre. Un vent d’une puissance imprévisible avait surpris les plus avertis des météorologues. Animaux et villageois avaient déjà gagné leurs refuges en prévision d’un phénomène inhabituel. Épuisée par les préparatifs, Anne s’était couchée très tôt et dormait paisiblement alors que la tourmente s’amplifiait.
« Non ! Il ne faut pas que je succombe aux forces destructrices. Si j’ai résisté jusqu’à ce soir, je peux encore tenir, je vais m’accrocher de toutes mes forces au sol qui m’a nourri : pour Elle ! »
Dans une ultime tension pour se cramponner à la vie, à la terre, l’arbre ploie encore, se redresse et soudain, vrillé par un puissant assaut, cède à la violence d’une rafale mortelle. Alors, dans un dernier et vain effort, le cri du chêne vaincu déchire la nuit : un craquement ignoble, suivi d’un charivari de branches et feuilles livrés à la formidable rage des éléments. Le concert perché n’aura pas lieu.
Pendant ce temps, la magie du rêve s’emparait d’Anne. Les musiciens avaient accordé leurs instruments, pour préparer un partage inédit. Le concerto perché emplissait tout l’espace, éveillant des vibrations esthétiques, émotionnelles, spirituelles même, reliant un public conquis aux troubadours des temps modernes. Dans un va-et-vient de lignes mélodiques, tantôt douces et discrètes, tantôt enlevées, sinueuses, marquées d’envolées irrésistibles, toutes les cordes, matérielles et virtuelles tissaient des liens invisibles aussi complexes et denses que ceux d’une toile d’araignée musicale.
Alors, brusquement, dans un sursaut provoqué par une longue apnée, Anne exhale un cri, une plainte infinie, douloureuse comme une déchirure, puissante comme le souffle du chêne monumental qui s’affale. Confusément, les clameurs silencieuses de l’arbre et celles de la jeune femme s’unissent dans le tumulte de la nuit de tempête pour hurler en silence la douleur de leurs vies broyées, à l’apogée de leur connivence.



3 ème prix au concours de Nouvelles morterolaises







 L’INSOUMIS DE LA COURTINE

           
             La nuit tombait sur Magnat l’Étrange, à la fin de ce jour de fête à la gloire du chou, le célèbre et énorme chou de Magnat. J’étais venue ce dimanche pour annoncer ma grossesse à Marie-Louise alors que le village perpétuait la tradition d’un chou d’origine russe, des jardins du tsar Pierre III, affirme-t-on de source sûre, introduit en Creuse vers 1760. Merveilleusement adaptée aux conditions climatiques sud-creusoises, cette crucifère avait été importée pour sauver les gens de Magnat de la famine. La variété avait été préservée grâce au travail patient d’un petit groupe d’agriculteurs passionnés. Le spécimen élu roi du chou ce jour-là,  ne pesait pas moins de 20 kilos pour un diamètre de 1,20 mètre.
            Marie-Louise, ma grand-mère paternelle m’avait reçue plusieurs fois depuis que, intriguée par mes origines, je l’avais enfin située puis rencontrée au fin fond de ce village aux alentours de la Courtine. Il m’avait fallu plusieurs années de démarches auprès de la DDASS, ancienne Assistance Publique, pour retrouver la personne qui avait confié son fils –  mon père, aux services sociaux, à l’âge de deux jours. Sans idée préconçue, j’étais curieuse de percer le secret de cet abandon, mais dès que j’eus fait sa connaissance, je renonçai à la harceler de questions, laissant la confiance s’installer entre nous. Le temps des confidences viendrait, éventuellement.
              Vivant seule dans son pavillon, autrefois dépendance du château, cette petite femme aussi étrange que son village, me permit d’aller fouiller dans son grenier, consciente du risque de passer une soirée plus agitée que d’habitude. J’ignorais en montant les marches étroites et poussiéreuses, si elle accepterait de répondre à mes interrogations sur la naissance mystérieuse de mon père. Comment aborder ce sujet si épineux sans la brusquer, sans la replonger dans un épisode de sa vie sans doute cruel ? Subtile et sensible, elle comprit ma quête et parut presque soulagée d’avoir à ouvrir la boîte de Pandore.
            Sous ce toit livré aux courants d’air froid, rien ne me sembla digne d’attention. Des malles de vêtements usés et couvertures en laine, des sacs de jute vides, des cartons de vieux livres, des outils rouillés, des meubles couverts de toiles d’araignées.  Je n’eus pas le courage de commencer seule mes investigations et m’apprêtais à refermer la porte quand… Je repérai une boîte à chaussures d’où dépassaient des photographies anciennes. Je m’accroupis et tirai au hasard: la photo de groupe d’un mariage. Une deuxième réunissait les élèves d’une classe de jeunes filles. La troisième et les suivantes n’évoquèrent pour moi que des scènes de vie du siècle passé. Pourtant, je ne sus que plus tard pourquoi je pris le carton et descendis retrouver Marie-Louise assise devant son poste de télévision. Il me sembla que son teint rosit en me voyant réapparaître chargée de ma trouvaille.
– Grand-mère, peux-tu me parler de ces personnes que tu as connues ?
– Oh ! Ma petite tu sais, ma mémoire n’est pas indéfectible, mais je vais essayer…  Là, ce sont mes parents devant notre château : tes arrière-grands-parents. C’était avant la grande guerre. Ici, c’est moi : j’avais dix-sept ans et mon frère Victor dix-huit. Il est mort de ses blessures peu après l’armistice.
            Sur ce tirage jauni, Marie-Louise était une belle jeune fille souriante aux traits délicats. On devinait sa taille fine sous son jupon protégé par un tablier à carreaux. Un châle à fleurs croisé sur sa poitrine et une coiffe limousine soigneusement amidonnée complétaient sa mise sobre, mais de bonne tenue.
            La vieille dame évoqua son éducation stricte, la sévérité de son père, la vie au château somme toute confortable et aisée. Elle commenta ces témoignages du passé avec une pointe de nostalgie qui faisait trembler sa voix. C’est moi qui pris entre mes doigts la photo d’un soldat. Son uniforme différait de ceux que j’avais pu observer sur les livres et au cinéma.
          Sur sa vareuse, un bouquet de fleurs épinglé remplaçait la cocarde. Sous le casque de combat, son beau visage à peine éclairé d’un sourire contrastait avec la tenue de guerre.
– Qui est ce soldat, grand-mère ? Ton frère ? 
            Elle marqua un temps d’hésitation, détourna son regard puis reprit la photo, la caressa du bout des doigts et des larmes noyèrent ses yeux gris verts tandis qu’elle balbutia :
 C’est Dimitri, mon seul amour, l’homme de ma vie, mon regretté Dimitri ! Il était slave : un blond aux yeux si bleus…
– Dimitri ? Raconte, s’il te plaît ! Parle-moi de lui ; je veux savoir…
– En avril 1916, au bout d’un périple de plus de deux mois, des milliers de soldats russes partis de Crimée ont débarqué en France. 
            Les larmes coulaient sur ses joues, suivant les rides profondes de son visage. J’insistai :
–  Ils étaient pour ou contre nous ?
– Nicolas II les avait échangés contre des armes. C’est Paul Doumer, avant d’être président qui fut missionné par Joffre et parlementa avec le tsar. Le corps expéditionnaire de quarante mille soldats devait soulager les troupes françaises, les seconder dans les batailles de Champagne et du Nord. Ils avaient aussi pour mission de remonter le moral des troupes françaises au plus bas après deux ans d’offensives sanglantes et inutiles.
– Ils étaient volontaires ?
– Quelques-uns oui ; mais pas tous ! On les a envoyés au « casse-pipe » avec les Français du front. Ils ont connu eux aussi l’horreur des tranchées, la faim, le froid, la peur. Ils se sont illustrés sur plusieurs champs de bataille. Tu as entendu parler du Chemin des Dames sans doute ?
– Bien sûr ! Mais comment ton Dimitri est-il arrivé à Magnat ?
– Attends ! Je vais préparer une tisane ; ça me permettra de reprendre un peu mes esprits pour te raconter la suite si tu veux bien.
– D’accord Grand-mère ! Assieds-toi je fais chauffer l’eau. 
             Marie-Louise allait dévider l’écheveau d’une partie de sa vie à la fois douloureuse et délicieuse. Elle avait besoin de se ressaisir et je ne voulais pas la brusquer malgré mon impatiente avidité de savoir. Elle sortit un mouchoir de sa poche de tablier, s’essuya les yeux et continua d’une voix hésitante en serrant la tasse de verveine entre ses mains.
– Au printemps 1917, le bruit d’une révolution en Russie parvient jusqu’aux tranchées. Alors, le premier mai, les soldats de la première brigade refusent de retourner au front.
– Il en faisait partie ?
– Oui. Cette brigade était constituée de deux régiments. Le premier formé d’ouvriers moscovites et le deuxième, celui de Dimitri, de paysans de la région de Samara.
– Et alors ?
– Eh bien, ils réclament leur rapatriement en Russie pour participer activement aux évènements dans leur pays. Ils brandissent des banderoles pour proclamer Vive la Russie libre démocratique socialiste. Ils portent des bouquets de fleurs accrochés à leur vareuse et leur mot d’ordre devient À bas la guerre.
– Ils se révoltent, en fait ?
– Oui. Ils se mutinent et l’état-major français, complètement dépassé les envoie au camp d’entraînement militaire de La Courtine.
– Pourquoi ici, juste à côté du village du chou de Magnat ?
– Cela n’a rien à voir : c’est une coïncidence. La Courtine est suffisamment éloignée des champs de bataille. Il fallait éviter que les idées pacifistes et la vague révolutionnaire socialiste se répandent dans l’armée française. En Creuse, ils sont isolés et ne pourront pas contaminer nos poilus.
– Et que font-ils à La Courtine ?
– Ils s’organisent en soviets et refusent d’obéir aux officiers. Ils réclament toujours leur rapatriement, en vain. Certains essaient de rallier quelques soldats de l’armée française à la cause de leur révolution.
– La mutinerie dure longtemps ?
– Attends ! Là,  il faut que je te dise que certains d’entre eux viennent à la rencontre des gens du pays. Ils donnent des coups de main pour les travaux des champs aux alentours vu que les hommes ont été en grande partie réquisitionnés pour aller au front. Nous sommes en pleine moisson et les bras manquent.
– Et ton Dimitri alors ? demandai-je impatiente.
– C’était en plein été. Il faisait très chaud, je me souviens. Tous les jours, je portais le panier pour le repas des moissonneurs : du pain noir, du fromage, du lard ou du jambon séché à la ferme. Une bouteille de piquette bien fraîche était reçue avec une joie contenue, mais franche.
– Toi ? La fille du château ! Tu portais le casse-croûte aux paysans ?
– Oui. Ils travaillaient pour nous, sur nos terres. Les rangs sociaux comptaient bien moins que l’entraide à cette époque ! On ne pouvait pas se permettre de mépriser les quelques bras vaillants restant disponibles pour cultiver, récolter !
– Des adolescents et des vieillards ?
– Et quelques soldats russes. Le jour où Dimitri m’est apparu pour la première fois, c’était à l’ombre du tilleul, face à la grange, derrière le château. Il s’est avancé vers l’arbre pour partager ce déjeuner frugal. Quand il s’est approché de moi, mon cœur s’est mis à cogner dans ma poitrine. Nos regards se sont figés l’un à l’autre et plus personne n’existait autour de nous. Ses yeux bleus m’ont fait tourner la tête dès qu’ils se sont fixés dans les miens. Il me semblait plus doux que ses deux compagnons malgré sa stature imposante. Quand les hommes ont repris la direction des champs, il s’est attardé pour m’aider à ranger et rester un peu plus longtemps avec moi. Nous avons échangé quelques mots : il parlait un français approximatif avec un fort accent et ma timidité ne me permettait pas d’alimenter une conversation soutenue. Seules nos mains se sont effleurées ce premier jour quand nous nous sommes séparés pour reprendre nos tâches respectives. J’étais si troublée que je ne pus dormir cette nuit-là, ni les suivantes d’ailleurs. J’avais vingt-deux ans et lui vingt-cinq.
–Tu étais éperdument amoureuse !
– C’était la première fois qu’un garçon me faisait cet effet. Je n’avais qu’une idée en tête : qu’il revienne, le revoir ! Tu ne peux pas imaginer à quel point je l’ai aimé ! Aujourd’hui encore, je pense à lui !
– Et il est revenu ?
– Oh oui, bien sûr ! Tous les jours, dès qu’il le pouvait. Nous nous donnions rendez-vous sous ce tilleul qui nous a réunis pour la première fois. Ses camarades lui adressaient des sourires entendus, mais restaient discrets comme pour idéaliser notre couple. C’était la guerre ! Plusieurs femmes avaient perdu un enfant, quelquefois deux, et souvent un mari, un frère, un père aussi. Avait-on le droit de s’aimer ? De vivre ? D’être heureux alors que tant de familles étaient dans le deuil ? Certains rentraient du front avec un bras ou une jambe en moins. D’autres étaient complètement défigurés ; on les appelait les « gueules cassées ». Sans compter ceux qui avaient été gazés ou traumatisés à en perdre la tête. Que cette guerre était épouvantable, sale : une honte pour l’humanité !
– Et vous deux alors ?
– La moisson terminée, le village s’était rassemblé pour fêter l’évènement autour d’une table pour une fois bien garnie. À la fin du repas, Dimitri chuchota à mon oreille une invitation à le rejoindre sous notre tilleul.
– Celui où tu apportais les repas et vous donniez rendez-vous ?
– Oui celui-là : notre lieu culte depuis le début de notre idylle. On s’est allongés à l’ombre et il a commencé à me caresser, à m’embrasser tendrement en murmurant des mots d’amour en français et en russe. J’étais si émue et je trouvais ses mains si douces sur la peau de mes jambes nues sous ma jupe, que je les laissais s’aventurer jusque sur ma poitrine.
– C’était la première fois qu’un garçon te touchait ?
– Comme ça, oui ! Et quand il m’a demandé de le rejoindre le soir dans la grange, malgré les mises en garde de ma mère ressassées depuis ma puberté, je n’ai pas hésité à lui promettre de venir à son rendez-vous.
– Tu as fait le mur ?
– En quelque sorte... Et tu devines la suite ! Dans le foin, je me suis donnée à lui, sans retenue, et j’ai découvert le vrai plaisir. Nous nous sommes aimés ainsi, tous les soirs, jusqu’à ce jour maudit où le camp a été encerclé avant qu’il ait pu me rejoindre sous le tilleul où je l’attendais. La veille, il m’avait donné la photo que tu tiens entre tes mains. Un de ses camarades avait fait des tirages destinés à leurs familles.
– C’était quand ? Tu te souviens ?
– C’était fin août, début septembre. Le bruit a couru qu’on voulait organiser un blocus autour du camp pour obliger les mutins à rendre leurs armes.
– Comment as-tu appris ce qui se passait ?
– La population de la périphérie du camp a été évacuée. Le 16 septembre, au terme de négociations infructueuses, l’ordre était donné de bombarder le camp. Il paraît que vers dix heures, le premier coup de canon retentit.  Les mutins répliquèrent en jouant la marche funèbre de Chopin. Officiellement, neuf rebelles auraient été tués, les leaders emprisonnés et les survivants auraient eu le choix entre le retour au front ou les travaux forcés en Algérie.
– Et Dimitri ?
– Je ne l’ai plus jamais revu, pas plus que ses deux copains. Il n’a même pas su que j’étais enceinte.
– Mon père est né le 8 mai 1918 : son fils ?
– Pierre ! Oui son fils ! Mon fils qu’on m’a enlevé deux jours après sa naissance.
– Enlevé ? Comment ça enlevé ?
– Mon père revenu du front a été averti de ma grossesse. Il est devenu comme fou quand il a su que j’avais fauté avec un soldat russe, un rebelle, un socialiste ! Ma mère, accusée de n’avoir pas été capable de veiller sur moi, n’a pas réussi à l’apitoyer. Sa colère a été très violente. Je crois qu’il n’avait plus toute sa raison.
– Tu crois que s’il n’avait pas vécu l’horreur de la guerre il aurait accepté cet enfant ?
– Il était très fier ! La honte l’aurait de toute façon rongé et alors… Toujours est-il que j’ai été séquestrée dès que mes rondeurs ont été visibles. Deux jours après avoir accouché, j’ai été séparée de mon petit Pierre qui a été remis à l’assistance publique. 
            Marie-Louise m’avoue avoir cessé de s’alimenter et désiré mourir. Mais ses seins gonflés la faisaient tellement souffrir qu’elle a finalement accepté de manger l’omelette au persil censée arrêter la montée de lait. C’est ce qui la sauva et, peu à peu, la vie reprit son cours inexorable.
  – As-tu cherché à retrouver Dimitri après la guerre?
– Non parce que j’ose croire que, vivant, il aurait choisi l’amour plutôt que la révolution et serait revenu à Magnat ce qui nous aurait rendu la vie impossible. Désabusée, j’ai fini par épouser un brave châtelain d’Aubusson à peine guéri de ses blessures. Il est décédé au bout de deux ans d’une infection pulmonaire.
– Grand-mère, écoute : je suis fière d’être ta petite fille et celle de Dimitri que tu as tant aimé !
– Et ton père, mon fils, mon Pierre ? dit-elle en sanglotant.
– Il a pris le maquis en 42 et a péri dans l’explosion d’un pont qu’il avait miné pour la résistance,  répondis-je en la serrant dans mes bras.
            Portant sa main à la poitrine, Marie-Louise murmura faiblement:
 L’enfant que tu portes et que tu vas mettre au monde aura un peu de sang russe, ma petite…
– Grand-mère, je donnerai à mon fils le prénom de Dimitri. 

Dimitri fut le dernier mot que Marie-Louise entendit.





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