L'ENCRE SYMPATHIQUE


ROMAN       uniquement disponible sur : encrerouge.fr                                                                                                290 pages
Éditions Encre Rouge                                                                                     18 €

Couverture: la gare de Limoges par Geo Danède

Parution: mars 2018

            L’Histoire, la musique, les arts constituent la toile de fond de ce roman foisonnant d’action et d’émotion.
            La gare de Limoges, comme un repère dans les tribulations de l’héroïne illustre et ponctue les péripéties de son parcours mouvementé.
            Des personnages atypiques, des situations insolites, un dénouement inattendu rythment la vie de Marta pour embarquer le lecteur dans la musique des mots et des sentiments.

            Comment une femme peut-elle s’épanouir dans sa carrière et libérer sa féminité quand tout lui rappelle que son enfant est privé de son amour ?
            Marta, jeune pianiste, brillante et trop esseulée pour être mère évolue entre résilience et remords depuis qu’elle a abandonné sa fille à la naissance. Dans le Paris des années folles, elle côtoie les artistes de l’époque. Sur les scènes de concert, puis à Limoges où elle s’établit et s’investit dans la résistance, parviendra-t-elle à assumer le poids de sa faute ?

            Portée par la musique, Marta surmontera-t-elle toutes les épreuves que sa vie lui impose ? Parfois tentée de renoncer, pourra-t-elle un jour se pardonner pour trouver la sérénité ?


Premier chapitre

1

De Limoges à Paris


             Elle a vingt-deux ans. Sortie ce matin de la maternité de l’hôpital de Limoges, Marta ressasse les mêmes pensées. Impossible d’occulter l’acte irrémédiable qu’elle vient d’accomplir, en pleine conscience, afin de poursuivre son chemin de vie comme si rien ne devait entraver son ascension vers les sommets de sa gloire. Telle une peau de mue dont elle n’arriverait pas à se libérer, elle emporte avec elle le poids de sa responsabilité. Au terme d’une grossesse dissimulée, elle a éludé l’issue, comme si cet enfant non désiré allait naturellement se volatiliser. Elle a toujours exclu d’enfanter au début de sa carrière prometteuse. Éreintée par l’accouchement, elle est pourtant déconcertée par l’instinct maternel qui domine son mental et son cœur.
– Gabrielle … Ma fille ! Que vas-tu devenir, ma petite ? Je te laisse seule dans cette ville où je ne connais personne. Je t’ai abandonnée, toi que j’ai à peine sentie grandir dans mon ventre tellement j’étais préoccupée par mes succès. Tu t’es faite discrète et ne m’as jamais empêchée de jouer du piano. Pendant toute la durée des concerts, je t’oubliais. Tu ne bougeais pas. Je pouvais vibrer, trembler, frapper, caresser les touches, onduler selon les lignes mélodiques. Tapie au fond de mon utérus, tu te développais sans que personne ne soupçonne ta présence. Entendais-tu les notes se répercuter de mes doigts à tes minuscules oreilles ? Ressentais-tu mon souffle s’amplifiant à chaque montée de l’échelle chromatique ? Et mon cœur : percevais-tu l’accélération de ses battements quand je jouais en solo et que tout l’orchestre rivait ses yeux sur le clavier, pour anticiper la reprise ?
            Tu attendais que je m’allonge après le récital pour me révéler ta vie au fond de moi. Doucement, tu dépliais tes jambes frêles, comme pour les dégourdir puis, avec un peu plus d’énergie, tu nageais dans mes eaux, te retournais comme un jeune dauphin prêt à bondir à la surface d’une mer tiède. Alors je m’autorisais à rêver de ton père qui ne savait pas… Oleg, ton père – tu as le même grain de beauté sur la joue gauche – et nos amours à Prague. C’est lui qui m’a ouverte au plaisir si différent de l’extase musicale. Une jouissance charnelle nous a emportés ensemble, élevés vers des sommets improbables, soulevés sur des vagues fugaces, mais si puissantes qu’elles nous laissaient comme inanimés au bord de notre étreinte. Tu es le fruit de notre amour et je ne t’ai même pas prise dans mes bras, à peine regardée. Pendant ma grossesse, sans nier ton existence, je n’organisais rien pour ton arrivée et la suite de ma vie avec toi, comme si, le moment venu, tout découlerait d’une évidence. Je ne m’attendais pas à souffrir autant. Ce déchirement de mes entrailles pour t’expulser a précipité mon rejet. Rien ne me préparait à être mère, mais j’aurais pu le devenir si… si je n’avais pas été seule pour t’accueillir et te faire une place dans ma carrière en plein essor. 
            Marta a repris le train. Même ligne : Toulouse-Paris. Une semaine d’interruption à Limoges pour accoucher de Gabrielle et l’abandonner à l’hôpital : elle poursuit son voyage. Dans le compartiment de première classe, en ce début d’été 1922, la chaleur berce sa douleur jusqu’à l’assoupissement des sens. Quelques instants de répit avant de fouler les pavés parisiens, sans but précis puisque le prochain concert est programmé pour octobre. Octobre, comme l’an dernier, juste avant le séjour à Prague et la rencontre fortuite du bel Oleg. Les yeux fermés, elle distille des images de la ville, la nuit de son arrivée, la sollicitude et la bienveillance de cet étudiant qui l’a conduite à l’abri, à l’auberge de jeunesse où il logeait en attendant de gagner son autonomie. Il faisait déjà si froid qu’on se serait cru en plein hiver. Puis ce fut la visite de Prague sous la houlette de son jeune guide, les premiers émois, jusqu’à cette nuit d’amour, la première, imprimée à jamais dans sa chair. Oleg et ses yeux bleus, son grain de beauté et ses fossettes la faisaient chavirer de désir.
            Malgré les saccades du wagon sur les rails, rompue par la fatigue consécutive à son accouchement, Marta finit par sombrer dans un sommeil agité de sursauts. Elle rêve que Frédéric son deuxième amant, mort accidentellement en montagne, revient pour lui reprocher d’avoir renoncé à élever sa fille. Il affirme en être le père et promet de la harceler jusqu’à ce qu’il retrouve son enfant. Elle se débat et gémit sur la banquette, hantée par la culpabilité, affolée par le regard terrifiant de cet homme qui la juge. Dans un geste incontrôlé, son bras vient heurter la vitre, l’extirpant des griffes de ses démons. Pantelante, Marta se lève, lisse sa jupe du plat de sa main et se dirige vers la voiture-restaurant pour reprendre ses esprits et dissiper ses cauchemars dans une tasse de thé brûlant. Malgré la chaleur moite du compartiment, elle a les extrémités glacées et une sensation de vide intérieur. Son malaise lui trace des cernes bleutés sous les yeux et ride les contours de sa bouche contractée par l’angoisse. Sa superbe assurance de jeune pianiste talentueuse adulée par son public s’est transformée en accablement. Tête basse, elle soupire en s’appuyant au bar comme si elle allait s’affaler d’une minute à l’autre. Ni le barman en tenue impeccable ni les consommateurs attablés devant leurs petits fours ne prêtent attention à la détresse de cette voyageuse anonyme. Marta n’a pas envie d’être reconnue. La discrétion lui sied mieux que la célébrité en cet instant. Elle absorbe incognito une boisson insipide. Progressivement, elle retrouve une attitude plus digne. Et s’apprête mentalement à passer quelques mois dans la capitale.
            Retrouvant son siège occupé, Marta demande :
– Excusez-moi. Puis-je reprendre ma place s’il vous plaît ? Je me sens mal en sens inverse de la marche.
            La question s’adresse à un voyageur tiré à quatre épingles, plus moderne que l’ensemble des passagers. Celui-ci se lève, et son chapeau rond à la main s’incline galamment :
– Pardon Madame. Je viens de monter à Orléans et ignorais que vous occupiez ce siège. Je vous en prie, asseyez-vous. Je m’installe en face.
– J’étais allée boire un thé. Ce voyage est si long ! soupire Marta.
– D’où venez-vous, d’où si je puis me permettre ?
– Toulouse.
– En effet ; vous traversez tout le pays ! Vous avez un accent, mais pas celui de Toulouse, me semble-t-il.
– Non. Je suis Espagnole.
– Cependant, vous parlez très bien français !
– Merci, murmure-t-elle dans un sourire à peine esquissé.
            La conversation engagée se poursuit agréablement, transformant la dernière heure de train en échange de banalités. Le passager lui offre de partager un taxi à l’arrivée puisque, comme par hasard, les deux voyageurs se rendent dans le même quartier : à Montmartre.
            La salle des pas perdus de la gare de Paris-Orléans grouille de monde. La jeune femme accouchée depuis une semaine se déplace lentement, sans grâce. Sa valise lui paraît plus lourde qu’à son arrivée à Limoges où elle a accouché sous X. À sa droite, grand, mince, distingué, son voisin de train ralentit son pas, par courtoisie, tout en gardant son allure naturelle.
– Je n’ai pas affaire à un gentleman ! Il pourrait porter ma valise ! pense-t-elle, dépitée.
            Sous le haut plafond voûté, les bruits sont amplifiés. Entre les grincements des roues sur les rails, les voix résonnent, les gens s’interpellent et se bousculent dans un épouvantable brouhaha. Marta voudrait sortir au plus vite pour respirer et trouver le calme. Respirer ? Quelle déception ! Après les fumées des locomotives à charbon, ce sont maintenant les gaz des automobiles à essence qui forment comme un épais brouillard sur l’esplanade de la gare. Elle suffoque et se laisse prendre en charge par son compagnon de voyage. Les circonstances lui rappellent son arrivée à Prague, l’année dernière. Non pas que l’homme qui hèle le taxi ressemble à Oleg, ni que la température clémente en ce mois de mai lui rappelle le vent glacé d’octobre. Mais elle se laisse guider par la providence. Cependant, comme elle ignore où loger, elle remercie et demande à descendre au bas de la Butte, comme si elle y était attendue. Elle désire préserver sa liberté, ne pas se raccrocher à un inconnu. Le moment n’est pas encore propice pour nouer des relations. Elle a besoin de se retrouver seule, de méditer, de se construire un « après ».
            La portière du taxi refermée, Marta reste quelques minutes sur le trottoir, pensive, fatiguée. Puis, contrainte de trouver au plus vite une chambre d’hôtel, elle achète un guide au kiosque le plus proche et s’installe à la terrasse d’un café, face à l’éblouissante blancheur du Sacré Cœur, pour consulter les petites annonces. Depuis deux ans, Marta ne connaît que la vie d’artiste et ne sait pas ce que signifie un « chez-soi ». D’un pays à l’autre, de ville en ville, elle loge dans les plus beaux hôtels, le plus souvent sans qu’elle ait à se soucier de réserver. Ici, à Paris, elle résidera plusieurs mois et l’idée de s’aménager un studio intime et personnalisé l’effleure.
– Je verrais bien une chambre avec cuisine pour m’installer le temps de mon séjour. Mais en attendant de la trouver, j’aimerais loger tout près de ce monument majestueux. Peut-être y trouverai-je un peu de paix et de tranquillité, sans parler d’oubli. 
            C’est l’hôtel Beauséjour que Marta choisit parmi les nombreux établissements du plus somptueux au plus minable. Situé rue Burg, entre la Place du Tertre, le moulin de la Galette et le Sacré Cœur, le nom de cette pension lui semble prémonitoire. Du balcon de la chambre, elle aperçoit l’Opéra et devine les Champs Élysées. L’atmosphère aussi calme et paisible que celle d’un village la surprend et la rassure. La patronne, intriguée de recevoir une jeune femme seule la questionne sur le but de son séjour. Alors Marta raconte ses débuts, son chagrin et sa solitude au décès de ses parents, ses succès et sa profession de pianiste connue. Pour se justifier, elle lui montre ses photos et ses engagements. Ainsi mise en confiance, la tenancière lui confie les clés sans lui demander de caution : l’honnêteté de sa cliente ne fait aucun doute ! D’ailleurs, l’élégance de sa tenue, pourtant malmenée par le voyage confirme qu’elle a affaire à une hôte de qualité.
            Marta s’active : rien de tel pour évacuer les obsessions. Elle range ses vêtements dans la grande armoire-penderie puis procède à une toilette minutieuse dans un long bain parfumé relaxant. Comme la musique lui manque ! Plus d’une semaine sans jouer, sans écouter ses musiciens favoris !
– Dès demain, se promet-elle, je vais rencontrer Monsieur Vincent. 
            Elle a prévu de travailler ses morceaux de concert avec ce professeur de piano qui l’a félicitée lors de son passage salle Wagram, l’an dernier. Il l’attend depuis huit jours, mais son accouchement prématuré a retardé leur rendez-vous. Quant au prochain récital, son impresario a signé un engagement avec le théâtre des Champs Élysées pour le 30 novembre et le 21 décembre. Elle connaît les œuvres au programme, mais ne les a jamais jouées en public. Son nom sera associé à celui des prestigieux concerts Golschmann.
– Comment aurais-je pu honorer mon contrat avec un enfant à élever ? En embauchant une nourrice peut-être ? Je n’ai pas réfléchi. À vrai dire, je n’ai pas voulu chercher de solutions et, prise au dépourvu, j’ai abandonné ma fille ! Si mes chers parents savaient ! Ils m’ont tant aimée, soutenue, portée. Sans eux, je n’en serais pas là. Avec eux, ma fille serait élevée en famille.
            Du balcon de sa chambre au deuxième étage, Marta aperçoit les ailes d’un moulin rouge, la rue encombrée d’une foule bruyante : des promeneurs, des visiteurs, des habitants du quartier. Elle n’a pas envie de sortir ce soir, de se mêler à la vie qu’elle devine trépidante. On appelle cette époque « Les années folles ». Elle n’imagine pas les étonnantes manifestations, l’évolution des mœurs, des goûts, des libertés qui justifient cette notion de folie. Ce qu’elle espère, c’est trouver un exutoire à son mal-être. Épuisée par son état de santé de jeune accouchée, fatiguée par un voyage éprouvant, elle n’aspire qu’à sombrer dans l’oubli du sommeil, réparateur et profond. Alors, elle ferme les volets en bois, s’allonge sur le lit moelleux, sans dîner et s’abandonne.






Avis d'une lectrice

Magnifique roman que cette Encre sympathique! Aventures rocambolesques et situations inattendues foisonnent autour d'une situation dramatique, provoquée par une héroïne que le remords poursuit sans cesse... Bouleversant ! Je recommande vivement !! Dans la foulée de Après Marienburg.   Odile R.

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